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Crèches et Perspectives Chrétiennes

Des moutons de la crèche à Giono

13 Décembre 2013, 20:11pm

Publié par jean Michel




Au vif de la lune, dans ce rond d'herbe courte que le bois embrassait, un beau pin-lyre dressait ses deux troncs.

 Comme on approchait, l'arbre se mit à chanter d'une voix qui était à la fois humaine et végétale. Je vis qu'on avait asservi les deux cornes de l'arbre par la traversière d'un joug creux ; on avait tendu neuf cordes du joug au pied de l'arbre ; ainsi il était devenu une lyre vivante à la fois de l'ample vie du vent, de la sourde vie des troncs gonflés de résine et de la vie toute saignante de l'homme.

 Le berger toucha les cordes pour en doser la force. On entendait tomber ces sons, en bas dessous, en plein maquis, et les feuillages grondaient comme sous les larges gouttes d'un orage. Enfin, le berger s'adossa au grand tronc recourbé, il étala ses mains au plein des cordes et il attendit le vent. (...)

 Il arriva, et tout aussitôt du haut du palier de la colline s'élança le chant aux trois vies. L'arbre tout entier vibrait jusque dans ses racines et du large emplein de ses doigts l'homme serrait les rênes du beau cheval volant ; tout le ciel ruisselait au travers de la lyre. Alors une grêle d'oiseaux tomba de la nuit, et, comme des pierres en marche, les moutons se mirent à monter à travers le bois.

 Ils sortaient doucement de la barrière des arbres. Ils venaient pas à pas, un par un, sans bruit. Ils étaient là, tête basse, à écouter, et la corne des béliers tremblait dans l'herbe, et l'agneau tout tremblant se cachait sous le ventre de là brebis. Sans bruit !

 Parfois seulement, au fond de l'herbe, les bêtes soupiraient toutes ensemble. Les collines faisaient silence. L'homme donnait une voix à la joie et à la tristesse du monde.




JEAN GIONO
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